Rencontre avec Gérard Marcovitz

témoignage d’un enfant caché pendant la Seconde Guerre mondiale

Vendredi 6 février, M. Marcovitz s’est rendu au collège pour témoigner. Il a pu ainsi rencontrer 4 classes de troisième au cours de deux séances de deux heures. Après avoir écouté son histoire, les élèves et les professeurs ont pu lui poser des questions.

Troisième

samedi 20 février 2010 , par Marianne Finaltéri

Mohamadou (3è5) : Comment avez vous réussi à vivre sans vos parents ?
En 1946, j’ai été recueilli par une famille amie de mes parents. Ils m’ont donné beaucoup d’amour : j’ai été cajolé, aimé, j’ai eu la possibilité de faire des études, de partir en vacances, d’avoir des loisirs. J’ai été entouré. J’ai vécu 21 ans chez eux.

La personne qui m’a recuilli est veuve depuis 1987. Elle est dans une maison médicalisée à côté de Cannes, atteinte de la maladie d’alzheimer. Elle n’a plus que moi. Elle n’a pas eu d’enfants. J’ai été adopté. Et c’est à mon tour d’être son tuteur légal. Elle a 100 ans. Je lui téléphone et je vais la voir régulièrement.

M. Balthazard, principal du collège : c’est votre père qui vous a donc sauvé ?
Oui, ma vie a tenu à peu de choses. J’ai appris plus tard que mon père avait payé l’oficier de police qui nous arrêtait, pour que nous aillions, ma soeur et moi, chez le voisin.

Bryan (3è2) : pourquoi trouvez vous que c’est important de raconter votre histoire ?
Ce n’est pas raconter, c’est témoigner. En ce moment, la société devient amnésique. On est en train de banaliser ce qui s’est passé. On devient indifférent. Or on profane des cimetières, on attaque un juif qui a une kippa sur la tête, on agresse un musulman. Personne n’est meilleur ni moins bien. Il y a des abrutis partout. Vivez ce qui vous rapproche et oubliez ce qui vous sépare !

Djocouda-Hawa (3è5) : est-ce qu’on savait que vous étiez juif à la pouponnière où l’on vous a caché ?
Oui. Deux fois la milice est montée à la pouponnière. Une fois, on m’a caché dans un placard. L’autre fois, je suis allée dans une pièce avec une dame où nous nous sommes enfermés à clé. Un jour, c’était la fête de l’école. La police a dit qu’elle voulait y participer. Aussitôt la directrice a dit qu’il fallait m’emmener ailleurs. La méchanceté que j’ai rencontrée à la pouponnière n’était pas liée au fait que j’étais juif.

Pierre (3è6) : Quelle était la religion de vos parents ?
Ils étaient juifs non pratiquants. Moi, j’ai été catholique car j’ai été
baptisé. Je suis pour l’oecuménisme, et pour toutes les religions.

Elie (3è2) : avez vous pratiqué votre religion ?
Mes parents m’avaient fait baptiser. Je me rappelle peu d’avoir été à la messe avec eux. Mais à la pouponnière de Vaucresson, on allait à la messe et on faisait la prière dans le dortoir.

Joséphine (3è5) : la personne qui vous a recuilli a-t-elle été nommée Juste parmi les Nations ?
Oui, c’est inscrit dans l’allée des Justes de Yad Vachem à Jérusalem.

Salim (3è2) : avez vous la rage contre les Allemands ?
C’est tout le contraire. Je suis musicien et j’ai des amis musiciens allemands. J’ai la haine contre les criminels nazis mais je veux que la Justice passe. J’ai la haine contre la haine.

Elie (3è2) : étiez vous fâché quand le Maréchal Pétain a décidé de collaborer ?
J’étais trop jeune pour être fâché. Mais je me souviens que l’on vivait à l’arrière de notre pavillon pour éviter d’être vus de la rue. Quand je faisais les courses avec ma mère, elle me tenait bien. Je savais que c’était dangereux.

Océane (3è5) : étiez vous le seul juif caché dans la pouponnière ?
Non, il y avait un autre enfant. Mais ses parents étaient caché ailleurs et venaient le voir le dimanche.

Elie (3è2) : savez vous qui vous a dénoncé ?
Non, on pense que c’est un voisin. On sait aujourd’hui qu’il y a eu des dénonciations en échange d’argent.

Daniel (3è2) : est-ce que vous y repensez souvent ?
J’y pense tout le temps. La plaie n’est pas refermée. Cela reste à l’intérieur. Je fais des cauchemars de temps en temps.

Maxime (3è5) : avez vous des souvenirs de vos parents ?
Il me reste des souvenirs mais aussi des photos. J’ai le projet d’en faire un livre avec une classe de lycéens. Je me souviens même de leurs voix.

Océane (3è5) : avez vous eu tout de suite conscience de ce qui se passait ?
Oui, tout ce suite ! Cela a été une souffrance absolue, un traumatisme intérieur, une grande violence...

Loup (3è4) : Est-ce que votre soeur a compris ce qui se passait quand la police est venue ?
Oui, elle avait compris.

Djocouda-Hawa (3è5) : pensez vous qu’un tel génocide puisse se reproduire ?
Je ne le pense pas. Mais en Afrique, en Asie, en Europe de l’Est, il y a beaucoup d’ethnies. Je pense que des rivalités ethniques violentes sont toujours possibles.

M. Balthazard, principal du collège : pourriez vous revenir sur le fait que cette histoire ne vous a pas empêché de réussir votre scolarité ?
Je ne travaillais pas trop mal jusqu’en 3ème. Mais en 3ème, cela a dérapé un peu. En Seconde, je me suis laissé noyer. Mes tuteurs n’étaient pas de grands intellectuels et ils ne pouvaient pas m’encadrer scolairement. Je me suis senti tellement humilié, par la déportation de mes parents, par l’étiquette de juifs, par le test psychotechnique déclarant "atavisme racial, prédisposant le sujet aux carrières du commerce"... On peut y arriver !

Mohamadou (3è5) : est-ce que ça a changé votre vision du monde ?
J’ai vécu avec un complexe toute ma vie, me disant que je resterai un "petit juif". Je me sentais marginalisé. Lors d’un contrôle de police, il y a15 ans, un policier m’a demandé si j’étais français ! Marcovitz, c’est français comme nom ?!

Pierre (3è6) : Est-ce qu’être juif est une religion ?
C’est difficile à définir, c’est plutôt une ethnie, une croyance. On est
juif par sa mère.

Evry (3è2) : avez vous eu honte d’être juif ?
Jamais !! Il ne faut jamais avoir honte de ses origines !

Maxime (3è5) : est-ce que vous vous considérez comme un privilégié ?
J’ai eu de la chance mais je ne suis pas un privilégié. La chance que j’ai eu, c’est pour la mettre au service des autres.

Mégane (3è5) : avez vous le souvenir de quelque chose de choquant ?
Il y a eu les bombardements : cela fait du bruit et c’est dangereux. L’arrestation bien sûr m’a choquée. La méchanceté des gens aussi, les regards des uns et des autres à la pouponnière de Vaucresson.

Jorys (3è5) : pourquoi est-ce que c’est plus grave d’insulter un juif que d’insulter un musulman ?
Ce n’est pas plus grave !! C’est la même chose. Devant la loi, c’est ce que tu fais qui est important, pas qui tu es ! Il n’y a pas de supériorité des uns par rapport aux autres.

Loup (3è4) : Est-ce que vous avez pensé plusieurs fois à vous enfuir de la pouponière ?
Non, je ne me suis jamais enfui, même le dimanche quand les parents venaient voir les autres enfants.

Manon (3è6) : Est-ce que les retrouvailles avec votre soeur ont été
chaleureuses ?

Oui, nous sommes restés très complices, très proches.

Lorrys (3è6) : Quel a été votre sentiment quand on a retrouvé des criminels nazis ?
Le Tribunal international de La Haye est très important, toutes ces
instances européennes sont importantes, pour créer une Europe plus forte.

Dans la même rubrique